10 - L’église d’Esnandes

10 - L’église d’Esnandes

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Esnandes. Je n'irai pas plus loin. Après, le chemin se perd, cadenassé par des clôtures. La route qui mène vers Charron est goudronnée. De loin, je vois la digue en avant du polder, se déployer comme un chemin de ronde, en encorbellement sur la mer. Des tracteurs lèvent des nuages de poussière. Ils travaillent des parcelles arrachées autrefois à la mer, par l'obstination des hommes à survivre et à contrarier le cours naturel des choses. La baie est en contrebas. En face, bien au large, mon regard court jusque la Pointe de l'Aiguillon. Je cueille des figues violettes, à portée de main, dans un arbre touffu. Des coings jaunissent sur un arbre franc, au milieu d'un terrain vague. Je parcours, presque à l'aplomb de l'église, quelques venelles typiques de ce village de marins. Un essaim d'abeilles vrombit dans une fissure. Des roses trémières s'adossent aux murs de pierre. Il faut songer à partir, à retourner vers la ville, distante d'une quinzaine de kilomètres. A laisser la lumière versatile et vierge des polders derrière moi. En revenant, je ne serai plus tout à fait le même. Personne n'en saura rien. C'est un secret entre la baie et moi. Entre moi et moi, surtout. Alors, voilà, j'en avais terminé avec le littoral pour le moment. Mais rien n'est jamais vraiment fini, et c'est bien là l'essentiel. Mes chemins, suivis et à suivre, ouvrent de nouvelles routes, parfois plus intérieures que réelles. En équilibre au bord du monde, sur le fil des falaises, j'ai commencé à trou- ver ma place dans l'ordre infini des choses. Traversé par les lumières folles de la mer et du vent, j'ai marché dans les pas de mon propre silence. Et puis j'ai fait voeu de le suivre, sans savoir jusqu'où.